– Voilà, le code d’accès pour te connecter au réseau wifi, Arthur, tu as le droit à une heure, pas plus lui dit le psychiatre en le laissant seul dans la pièce.
Aussi loin qu’il s’en souvienne, Arthur a toujours vu son père accompagné d’une souris et absorbé par l’écran de son ordinateur. Pour son père, ce rituel de décompression était une étape indispensable pour atteindre cet état de sérénité et de détente qui venait transformer une journée merdique, en une soirée acceptable. Enfin, à condition que la partie se finisse bien.
Pour ses 6 ans, Arthur avait demandé à son père son tout premier jeu virtuel : Where is Charly ?
– Franchement Milo, tu trouves que c’est vraiment intelligent d’acheter un jeu vidéo à ton fils pour son anniversaire !
Marie était excédée du comportement de son mari. Toujours à faire des cadeaux débiles et couteux aux enfants sans l’avoir prévenue avant. Résultat, c’est toujours elle qui passait pour la méchante aux yeux de leur famille.
– Oh c’est bon, tu ne vas pas me saouler juste parce que je lui ai acheté ce qui lui fait plaisir ! C’est son anniversaire quand même ! En plus c’est un jeu pédagogique pour l’initier à l’anglais. Je ne vois vraiment pas où est le problème !
Milo n’en pouvait plus d’entendre sa femme lui reprocher sans cesse sa passion pour l’informatique.
Et d’ailleurs, il n’avait jamais vu les yeux de son fils autant briller qu’aujourd’hui, lors de l’ouverture de ses cadeaux .Voilà comment par un de ces beaux et doux soir d’été, Arthur glissa petit à petit dans une autre dimension.
La maladie venait d’entrer dans ce tout jeune cerveau pour y tisser sa toile, l’entraînant vers un point de non retour dans sa vie de futur chef de file de la tribu des « no-life ».
Quelques années plus tard, le passage de son enfance à son adolescence, l’amena à abandonner les petits jeux linguistiques et ludiques sans conséquence pour passer aux choses sérieuses : les jeux vidéos !
– Hey, Arthur, t’as le jeu « le bossu de notre dame » sur ta gameboy ? lui demanda un copain d’école lors de la récréation.
– Ouais, je l’ai fini hier lui répondit Arthur.
– Déjà fini ? T’as fait comment ? Moi je n’arrive pas à dépasser le niveau 5, tu sais celui où tu dois monter dans la barque pour aller au village.
– C’est facile, tu dois prendre la pièce d’or en haut de l’arbre avant d’arriver au lac et tu la donnes au passeur pour qu’il te conduise de l’autre coté de la rive.
Arthur était tellement doué qu’il était devenu la référence de la cour de récréation en matière de jeux vidéo.
Bien que de nature introverti et timide, une fois qu’on lui parlait de jeux vidéos il se transformait complètement, il était dans son élément et à l’aise comme jamais.
Il avait surpassé très rapidement son mentor de père en la matière, à un tel point qu’à chaque nouvel achat d’un jeu vidéo, Milo ne pouvait s’empêcher d’appeler son fils pour lui demander sur avis sur les nouveaux jeux tendances du moment.
Récompense au sommet pour Arthur, il venait même en aide à son père quand celui-ci ne s’en sortait pas, restant coincé au même niveau, ce qui pour un joueur averti est un affront suprême.
Les jeux de guerre avec une stratégie à mettre en place étaient de loin ses favoris.
À la maison, personne ne s’inquiétait outre mesure étant donné qu’Arthur était un élève sans problème et avec une bonne moyenne générale.
Il est vrai que ses professeurs trouvaient qu’il était un peu fainéant et se reposait sur ses acquis, mais Arthur, n’ayant pas forcement envie de se tuer à la tache, y trouvait son compte et ne comptait pas remettre en cause cette stratégie qui lui convenait tout à fait.
– Arthur, allez dépêche-toi, les résultats du Bac sont affichés dans 5 minutes ! On va être en retard lui cria sa mère.
– Ouais, j’arrive mam, je dois juste finir ma partie, j’en ai pour 2 minutes.
– Je t’attends dans la voiture, on y va maintenant, arrête un peu avec ce foutu ordinateur ! Tu vas devenir accro comme ton père !
Marie mit le moteur en route en attendant son fils. En arrivant devant le panneau des notes, elle priait intérieurement en se disant « faites qu’il ait son Bac avec mention ».
– Alors Bac S, Arthur Tomy, Talua, Thibault…. Ah Tomy t’es là Arthur, tu l’as, tu l’as avec mention Bien ! Enfin Marie pouvait respirer son fils allait pouvoir entrer en Médecine à la fac de Lille.
– Tu vois, je t’avais dit que je l’aurais avec mention ! Tu ne me crois jamais lui reprocha Arthur. Bon on peut rentrer ? Je dois préparer mes valises pour emménager dans ma résidence étudiante. C’est bien lundi que j’aurai les clés ?
– Oui oui c’est bien ça lui répondit Marie soulagée.
Cette nouvelle année s’annonçait très studieuse pour son fils. Arthur avait choisi de faire Médecine pour faire comme son père, sans vraiment réfléchir à ce qu’il voulait vraiment.
Et puis être médecin c’était bien vu dans notre société, et l’opinion des autres avait toujours été importante pour lui.
Les deux mois de vacances passèrent rapidement, et la rentrée arriva.
Début septembre, Arthur se retrouva dans un énorme amphi de 300 places pour une promotion de 450 élèves. Il fallait arriver le premier en cours pour avoir une bonne place et les derniers se retrouvaient dans un second amphi avec les cours projetés via un écran géant.
Plus les mois avançaient et plus l’ambiance entre les étudiants était extrêmement compétitive, personne ne se faisait de cadeau : vol de cours, mise en circulation de faux polycopiés…
Arthur se sentait de plus en plus perdu, autant dans ses cours que dans cette masse étudiante impersonnelle. Il travaillait durant de nombreuses heures mais il sentait bien qu’il perdait pied.
Les résultats du premier semestre arrivèrent le 10 janvier dans une enveloppe. Arthur se retrouva dans le milieu du classement, il n’avait donc aucune chance d’avoir sa première année du premier coup. Mais il devait tout de même continuer à travailler s’il voulait avoir l’autorisation de redoubler!
Un autre étudiant, Martin, se retrouva dans la même situation. Tout comme Arthur, il avait très peu d’ami et était de nature solitaire. C’est lors d’une session de travail de groupe qu’ils se rencontrèrent.
– Salut, moi c’est Martin. On est dans le même groupe non ?
– Oui je crois. Moi c’est Arthur. Tu viens en cours avec ton ordinateur ?
– En ce moment je l’ai partout avec moi lui répondit Martin avec un sourire en coin.
Tu t’y connais un peu en jeux vidéo sur PC ?
– Je me débrouille plutôt bien, mon père achète assez souvent des nouveaux jeux, et en général, je les finis assez vite. Ca me détend de jouer, ça permet d’évacuer un peu la pression.
– Et les jeux vidéo en réseau, t’as déjà essayé ? Word of Warcraft tu connais?
– J’en ai entendu parler, mais je n’ai encore jamais testé.
– Si ça t’intéresse, passe à la maison ce soir, je pourrais te faire une petite démonstration pour que tu voies comment ça marche. Je suis sûr que ça va te plaire.
– Ok ça marche.
Arthur était bien content d’échapper à une soirée tout seul dans sa chambre d’étudiant, à devoir encore et encore travailler, il sauta donc sur cette occasion.
À 20h, Arthur sonna chez Martin.
– Le code c’est 3567A, 2e étage porte de gauche.
– Ok, j’arrive.
– Vas y entre Arthur, assieds-toi, je viens de commencer une partie avec des potes. Mets toi à coté de moi, tu vas voir comment ça marche. Tu vois le personnage en armure à droite ? C’est mon personnage Malik ! Bon attends deux minutes, je vais le mettre en pause pour t’expliquer vite fait.
Martin s’adressa directement aux autres joueurs présents en ligne : « Les gars, je fais un petit break, mon pote est arrivé et je vais lui expliquer comment le jeu marche. Allez au donjon sans moi, faites gaffe à la horde qui doit traîner pas loin, et surtout, si vous voyez des tanks, tirez les premiers dessus ! Et Kylian, tu ne restes pas trop loin du groupe avec ton mage ! Ils vont te nettoyer le terrain mais tu dois vite entrer dans le donjon !
– Ok, à toute Martin répondirent à l’unisson les trois voix.
Martin posa son ordinateur sur la table du salon et se tourna vers Arthur.
– C’est bon, les gars vont gérer en mon absence, je t’explique rapidement le jeu et ensuite on se reconnecte pour que tu puisses voir en live tout ce que je viens de te dire. S’il y a des choses pas claires, surtout dis-le moi.
– Je t’écoute.
– World of Warcraft c’est donc un jeu en ligne payant dans lequel tu deviens un personnage médiéval-fantastique. Avec lui, tu explores un monde virtuel plein de mystère et de magie. Tu peux te balader dans les différents royaumes, acheter des armes, des potions, des pouvoirs ou encore livrer des combats seuls ou en groupe.
– Et quand tu remportes un combat, tu gagnes quelque chose ?
– Oui, oui, en fonction de l’adversaire que tu bats, tu peux gagner des équipements supplémentaires. Mais ce qui est vraiment bien avec ce jeu, c’est que tu peux personnaliser ton personnage comme tu veux. C’est vraiment toi, mais transposé dans la réalité virtuelle de Word of Warcraft ! Tu peux enfin être qui tu veux ! Bon évidemment, plus tu es un bon joueur, plus tu es connu et respecté dans ce monde. Ah mon avis, tu devrais bien t’en sortir étant donné que les jeux vidéos ça te connaît!
Voyant qu’Arthur semblait assez intéressé par la discussion, Martin continua ses explications.
– Au début tu as neuf races de personnages avec des caractéristiques bien précises. Tu choisis le personnage qui te correspond le mieux, et tu vas le faire évoluer tout au long de sa vie dans le jeu. Tu auras des milliers de quêtes à accomplir, tu pourras développer de nouvelles capacités et être de plus en plus puissant. Bref plus tu auras la possibilité de te battre seul contre certains monstres mais pour les vrais défis qui rapportent, il faudra que tu fasses partie d’une équipe de joueurs. Parce que pour gagner les raids et trouver les récompenses dans les donjons, tu ne peux pas t’en sortir tout seul. Alors ça te dit d’essayer ?
Arthur se tortilla sur le canapé, un dilemme avait pris place dans sa tête. C’est vrai que pendant la première année de médecine, il ne fallait pas quitter des yeux ses bouquins pour avoir une chance de réussir.
Mais en même temps, vu son classement, il savait bien qu’il ne l’aurait pas du premier coup.
Alors bon, pourquoi ne pas jouer juste de temps en temps, histoire de se détendre et puis retourner dans les bouquins ensuite. Mais ce qui le séduisait le plus, c’était l’idée de se retrouver entre joueurs qui partagent les mêmes intérêts, élaborer des stratégies tous ensemble pour remporter des trophées, faire tout simplement partie d’un groupe ! C’est exactement ce qui lui manquait depuis toujours.
– Ca me dit bien d’essayer Martin !
– Cool ! Tu verras c’est vraiment sympa comme jeu.
Arthur resta encore un peu chez lui pour le regarder jouer et rentra chez lui vers minuit.
Le lendemain, il se rendit sur le site pour créer son personnage.
Voilà, comment commença le premier jour du reste de sa nouvelle vie, nous étions le 24 février 2008.
Arthur laissa place au druide Daline. Après avoir lu les caractéristiques personnelles des neuf races, il choisit celle qui correspondait le plus à ce qu’il était lui. Les druides sont proches de la nature, ils viennent en aide aux autres car ils peuvent les soigner. C’est aussi la seule race qui n’était pas cantonnée à un seul rôle. En étant druide il pouvait à la fois soigner, défendre, et combattre les autres.
Dans cette vie nouvelle vie, Arthur allait enfin devenir, celui qu’il aurait tant voulu être, dans le monde non virtuel.
Daline progressa très rapidement dans le jeu, elle était de plus en plus à l’aise dans son monde. Elle gagnait beaucoup de combats, les pièces d’or s’accumulaient et de plus en plus de fratries appelées factions, la sollicitaient. Elle était devenue une soigneuse respectée et beaucoup de joueurs faisaient appel à elle pour être rapidement remis sur pied.
Là ou Arthur avait échoué dans ses études de médecine, Daline, elle, cartonnait !
Toutes les semaines, un classement des meilleurs joueurs était publié. Daline en fit rapidement partie.
Ce qui demandait bien évidemment un temps de présence sur le jeu de plus en plus important. Car, comme dans le monde humain, ce monde fantastique ne s’arrêtait jamais ! Il évoluait à vitesse grand V, en l’espace d’une journée, les missions et les repères changeaient, les ennemis progressaient, les combats devenaient plus durs.
Le joueur qui était resté déconnecté trop longtemps, pouvait se retrouver complètement perdu. C’est comme cela que l’addiction commençait.
Quand il n’était pas connecté, un joueur pouvait perdre toute l’avance qu’il avait gagné au terme de combats acharnés de 5 heures non stop !
Il fallait donc être là le plus possible pour garder sa place, une véritable aliénation se mettait en place dans l’esprit des joueurs.
Lors de son entrée dans le jeu, Daline avait rapidement sympathisé avec un petit groupe de novices comme elle. L’interaction entre les personnages permettait de se parler et petit à petit le contact s’établissait. Il était également possible pour elle de voir lesquels de ses nouveaux amis étaient connectés en même temps qu’elle.
Si au début, les joueurs ne parlaient entre eux que du jeu, des affinités se mirent en place. Même si on s’appelait par le nom de son personnage, on connaissait le prénom humain de chacun, on se racontait un peu sa vie.
Le sentiment de réussite sociale mais aussi d’appartenance à une communauté, voilà ce qu’Arthur ressentait grâce à Daline, son alter ego féminin.
La réputation de combattante hors pair de cette dernière commença à intéresser fortement les puissantes factions.
Un jour un des leaders de Black liste D (l’une des meilleures factions d’Europe) pris contact avec elle.
– Salut Daline, je suis Ligok, j’ai vu ton CV en ligne, assez impressionnant ce que tu fais ! Je fais partie de Black Liste D, tu en as entendu parler ?
Si elle en avait entendu parler ! Non mais il plaisante celui-là! Evidemment qu’elle savait qui il était !! Elle n’en revenait pas ! Un des ténors du jeu lui parlait !
Normalement les leaders ne venaient jamais chercher les joueurs, il fallait répondre à une petite annonce en ligne et envoyer son CV pour avoir un entretien avec eux ! Ils faisaient leur sélection en fonction des recrues dont ils avaient besoin. C’était un cercle très fermé.
Pour y rentrer il fallait avoir fait ses preuves et c’était compliqué de réussir à impressionner de tels joueurs ! Le candidat était soumis à un véritable entretien d’embauche digne de ceux de nos grosses entreprises du CAC 40.
Il y avait même une période d’essai. Et si le candidat pouvait partir quand il voulait de la faction, il pouvait également se retrouver rapidement exclu. Des rendez-vous fixés à l’avance étaient établis, par exemple trois fois par semaine à heure fixe. Cela permettait d’avoir tout le monde en même temps pour s’attaquer à un donjon. Si un joueur n’honorait pas le rendez-vous, c’était très mal perçu par les autres et il pouvait se retrouver exclu du groupe. Ce monde avait ses propres règles et codes à respecter. Voilà pourquoi on parlait d’une réalité virtuelle.
– Salut Ligok, oui je connais, j’ai vu votre blog répondit Daline qui essayait de garder un minimum de contenance dans sa voix. Allez, calme toi, parle lui normalement, il ne doit pas sentir que tu es impressionnée ! se disait-elle intérieurement.
– Ok parfait, donc tu sais qu’on a besoin de gens comme toi. On veut devenir la faction la plus puissante du jeu, pour ça il nous faut les meilleurs ! J’ai vu que tu étais déjà allée au niveau 70 ! Comment tu as fait ? Parce que nous, on n’y arrive pas.
Effectivement il avait fallu à Daline et sa faction de l’époque plus de 12 jours pour y arriver ! Cela représentait des centaines d’heures de jeux, où il avait fallu se relayer. Un de ses amis y avait même perdu la vie.
– Il faut mettre à niveau ton compte pour aller au niveau 70 et explorer la Fameuse Outreterre. Sinon tu peux acheter une extension pour aller jusqu’ au niveau 85 et aller dans de nouveaux donjons, par exemple, celui appelé « Rage des terres de feu ». J’ai mis l’astuce sur mon blog dalinewow.com si tu veux avoir plus d’information lui dit Daline.
Dalinewow.com avait vu le jour, il y avait deux mois. C’est véritablement SA fierté ! Elle avait fait plus de 560 000 vues ! Les joueurs n’arrêtaient pas de le consulter et de lui demander des conseils. Enfin le fruit d’un travail de longue haleine portait ses fruits.
À l’inverse, dans son ancienne vie en tant qu’Arthur, c’était tout le contraire.
Tout partait en ruine. Arthur ne faisait même plus l’effort d’assister aux cours. Il ne sortait plus de chez lui que pour aller au supermarché car si Daline n’avait pas besoin de manger, lui était obligé. Il ne se lavait pas régulièrement et restait habillé avec les mêmes vêtements durant plusieurs jours.
Au début, il rentrait le week-end chez ses parents mais petit à petit, il avait espacé les visites pour les réduire au maximum.
La raison était simple : chez eux, la connexion Internet était pourrie. Le jeu sautait tout le temps et il était impossible de mener à bien une partie.
En plus, Marie, la mère d’Arthur s’était rendue compte du changement d’attitude de son fils. Il était agressif, tout le temps sur la défensive, il restait durant des heures enfermé dans sa chambre à jouer sur son ordinateur.
Il l’avait même réveillée une fois à 4 heures du matin ! En entendant des cris venant de la chambre de son fils, elle était montée le voir et l’avait trouvé en pleine crise d’hystérie à crier dans son casque « Mais putain, les mecs, je vous ai dit d’aller à gauche et tirer sur le tank ! Vous faites chier à cause de vous on a perdu le bouclier magique ! Vous êtes trop cons, quand je vous donne un ordre, il faut tout de suite le faire ! » Arthur était complètement plongé dans cet autre monde, il n’avait même pas entendu sa mère entrer dans sa chambre.
Devant ce spectacle, Marie était désemparée. Elle ne pouvait pas le laisser comme ça, il fallait l’aider ! Il réagissait comme un drogué s’il n’avait pas sa dose quotidienne de jeu en ligne, devenait incontrôlable et violent. Sa double vie venait d’être exposée, Arthur était fou de rage. Daline était le meilleur de lui même, il était hors de question, qu’il ne soit plus elle.
Les mois suivants furent très durs.
Marie obligea Arthur à rentrer chez eux, fini sa chambre d’étudiant. Il lui fallait constamment quelqu’un pour le surveiller et l’empêcher de jouer. Marie avait coupé la connexion Internet de la maison. Elle se sentait coupable de devoir en arriver là, car les frères d’Arthur qui étaient encore au collège, se retrouvaient punis aussi, alors qu’ils n’avaient aucun problème d’addiction.
La tension dans la famille devenait de plus en forte. Marie se retrouvait seule contre tous car même son mari Milo, se retrouvant lui aussi privé d’Internet, lui faisait des scènes.
– Mais tu débloques complètement ma pauvre ! Arthur n’est pas malade, enfin ! Il joue peut être un peu trop en ce moment mais moi je vais lui parler. Milo était dans le déni total. Pour lui, son fils n’était pas un accro comme le disait sa mère ! Il avait dû se décourager en voyant qu’il n’aurait pas son année du premier coup et voilà tout. Il avait sûrement besoin de se détendre en jouant un peu pour évacuer la pression.
Ce que Milo ignorait c’est que son fils avait complètement arrêté d’aller en cours depuis déjà cinq mois.
En Fac, on ne pointait plus qui venait ou cours et qui ne venait pas. Ils étaient considérés par les professeurs comme des adultes et devaient agir en tant que tels.
Son père ayant adopté la politique de l’autruche face à cette addiction, pour le sortir de cet enfer, il ne restait que Marie.
Elle commençait ses recherches pour essayer de comprendre ce qui arrivait à son fils, et surtout comment faire pour le sortir de là.
Après des jours à collecter des renseignements à gauche et à droite, elle finit par trouver une clinique spécialisée dans l’addiction aux jeux vidéo.
En lisant l’interview, du psychiatre Dr Dermon, qui avait monté ce programme, elle retrouvait à chaque phrase, les symptômes dont son fils souffrait.
Elle essayait de discuter avec Arthur quand il était dans ses bons jours, mais le dialogue était très compliqué. Elle devait sans arrêt le pister. N’ayant plus de connexion Internet à la maison, Arthur s’en allait en douce pour aller jouer dans les cybers-cafés de la ville.
Marie faisait alors un par un, tous les cybers, elle les connaissait par cœur, c’était devenue une véritable experte ! Même les gérants commençaient à bien la connaître. Dès qu’ils la voyaient rentrer dans leur établissement, elle n’avait même plus besoin de leur dire qui elle était venue chercher, ils lui donnaient d’office le numéro de poste où était en train de jouer Arthur !
Le jeu du chat et de la souris continua tout l’été. A la rentrée, Marie décida de trainer son fils par la peau du dos dans tous les cabinets de spécialistes possibles sur cette addiction.
– De toute façon, ça ne sert à rien, je ne leur dirai rien à tes spécialistes. Si tu as du temps à perdre, te gênes pas, je peux très bien rester des heures sans parler.
Arthur la défiait et la poussait à bout. Après tout, c’était à cause d’elle que Daline perdait de son influence dans le jeu de jour en jour. Il ne pouvait plus jouer, ses amis lui envoyaient des mails en lui demandant pourquoi il ne se connectait plus.
Arthur était dans tous ses états en apprenant l’avancée du jeu, sa faction menaçait de l’exclure s’il ne revenait pas vite dans le jeu.
Après des mois d’attente, Marie eut enfin un rendez-vous avec le Dr Dermon, le spécialiste français de cette pathologie. Il avait vu défiler depuis ces cinq dernières années de plus en plus de jeunes patients, et peu d’entre eux finissaient par admettre leur dépendance. Le problème était complexe car le premier pas pour guérir est d’accepter de reconnaître que l’on est addict.
La méthode du Dr Dermon était assez unique. Pour bien comprendre son patient, il devait réussir à établir une connexion avec lui. Dans le monde où Arthur était Arthur Tomy, ce dialogue était impossible. Il fallait donc qu’il s’adresse à Daline pour percer la carapace de son jeune patient.
– Voilà, le code d’accès pour te connecter au réseau wifi, Arthur, tu as le droit à une heure, pas plus lui dit le psychiatre en le laissant seul dans la pièce.
Arthur était aux anges, même si ce n’était que pour une heure, il était enfin de retour chez lui, dans sa vie en tant que Daline et entourée de sa faction.
Le Dr Dermon s’installa à son tour devant son écran dans la pièce à coté. Il mit en route son personnage de Louvin et partit à la rencontre de cette fameuse Daline.
Durant cette session d’une heure, Louvin en apprit beaucoup sur elle. Elle était arrivée à un des grades les plus haut qui soit dans le jeu : gladiatrice ! Ce qui signifie qu’elle était devenue célèbre dans la communauté, toutes les factions se battaient pour l’avoir dans leur équipe. Arthur avait donc très bien réussi dans sa nouvelle vie.
La tâche s’annonçait laborieuse pour le psychiatre. Surtout que certains très bons joueurs avaient trouvé le moyen de se couper du monde extérieur en réussissant à gagner leur vie grâce à ce jeu !
Un vrai business parallèle, s’était mis en place, comme celui la vente de personnages ou du coaching des joueurs qui n’arrivaient pas à progresser.
Certains leur demandaient même de prendre leur personnage pour le faire progresser moyennant une rémunération conséquente. Un personnage en fonction de ses qualités pouvait se revendre entre 300 et 1 000 euros ! Tout cela pour quelques heures de jeu, car pour les joueurs les plus forts, c’était facile de progresser en un temps record.
Un véritable lien affectif unissait Arthur à Daline. Grâce à elle, il avait pris confiance en lui et connu ses premiers succès.
Le bras de fer entre ces 2 mondes ne faisait que commencer. Abandonner cette partie de lui-même qui lui apportait tant, était parfois insurmontable pour Arthur. Ce qui avait pour conséquence de l’entrainer dans des rechutes sévères où il se renfermait complètement sur lui même et se murait dans un silence des plus angoissant pour sa famille.
Dans ces périodes là, il refusait carrément d’aller en séance avec le docteur Dermon et restait enfermé dans sa chambre, Daline avait repris le contrôle de son esprit et elle le faisait replonger au plus profond du jeu.
Les séances avaient tout de même portées leurs fruits car dans des moments de clairvoyance de plus en plus fréquents , Arthur prenait petit à petit conscience de son problème d’addiction et le reconnaissait.
Cette fois il avait un allié de taille à ses cotes en la personne du docteur Dermon.
Après plus d’un an et demi de traitement acharné, Arthur avait réussi petit à petit à reprendre des études. Il avait choisi une formation en tourisme et s’en était plutôt bien sorti car il avait fini par valider son bac + 3. C’était la première fois depuis bien longtemps qu’il réussissait quelque chose.
La motivation était en marche et l’envie de reprendre en main sa vie, avoir un métier, sortir avec des potes, voyager, était là. Il commençait à comprendre que son existence en tant qu’Arthur pouvait lui plaire et qu’il était capable de mener à bien ses projets et atteindre ses objectifs.
Cette confiance en lui qui grandissait, était l’un des remèdes les plus efficace pour le tenir à distance de son ancienne vie de gamer. Il était désormais « clean » depuis 720 jours.
Pour autant, même après ces 2 années écoulées, Arthur a conscience que la tentation du jeu vidéo sera toujours là. Il est marqué au fer rouge comme un alcoolique repenti. Il le sait, à vie, il sera fragile.
L’abstinence est une affaire de volonté de chaque instant, un vrai combat qu’on mène contre soi-même.
Quand on lui demande aujourd’hui, si jouer lui manque, il répond que non parce que maintenant il est bien dans sa peau.
Mais ce que personne ne sait, c’est que Daline, même si elle n’est plus active, existe toujours. Il était tout à fait possible de la supprimer définitivement mais Arthur n’a pas pu se résoudre à tuer son héroïne.
Quant à cette dernière, elle n’a pas dit son dernier mot et l’attend patiemment, prête à surgir du fin fond de sa prison à tout moment. Stockée sur un serveur, elle est en position, telle une épée de Damoclès au dessus de la tête de son créateur…
